Echiquier géant

Au pied des rocheuses, dans le Nord de l’Idaho, aux Etats-Unis, serpente la rivière Priest. A l’Est de ce cours d’eau, un mystérieux quadrillage apparaît dans le paysage enneigé de la fin de ce mois de Janvier. Les cases noires et blanches sont immenses. 400 mètres de côté. Le soleil encore bas sur l’horizon allonge les ombres de ce curieux paysage qui semble tout droit sorti d’un rêve. Deux géants, ennuyés par la longueur de l’hiver, auraient-ils décidé d’attendre le printemps en s’affrontant au bord de la rivière dans une partie de jeu d’échec ?

 

Et bien (malheureusement) non, c’est à l’homme que l’on doit ces formes. Les astronautes à bord de la station spatiale internationale ont immortalisé à la faveur des chutes de neige une exploitation forestière. La neige n’a tenu que sur les parcelles plantées d’arbres jeunes. Les cases sombres contiennent des arbres bien plus vieux. On se rend bien compte de l’étendue de cette exploitation, qui occupe presque toute la plaine au pied des montagnes. Les fortes pentes ne sont pas propices au passage des machines et sont donc recouvertes d’arbres de grande taille. Les rives du cours d’eau sont également laissées à l’état « sauvage » afin de permettre la filtration des eaux de ruissellement par les racines et les sols. Une exploitation raisonnée donc, qui permet à la nature de se régénérer plus facilement.

 

On peut se demander combien de tronc d’arbres sont coupés sur chaque parcelle. Un petit tour dans les cours des futurs ingénieurs des forêts en France suggère qu’on ne compterait pas moins de 1000 plants par hectare. Cela fait environ 100 000 arbres par kilomètre carré, soit 10 fois la densité de population de Lyon. Ce serait pour nous une vie un peu serrée, sans intimité, non ? Sur chaque carré de notre échiquier donc, faisant 400 mètres de côté, soit une surface de 0,16 kilomètres carrés, 16 000 plants poussent pendant 40 à 80 ans selon les stratégies d’exploitation avant d'être coupés.

 

En montagne, difficile de faire circuler des camions pour transporter tout ce bois. On distingue une route bien droite qui traverse les parcelles, coupant la plaine en deux dans un axe presque Nord-Sud. Mais l’exploitation du bois dans le Nord de l’Idaho remonte à plus de 100 ans déjà, quand l’Etat vivait surtout de ses mines et ses forêts. Les pins blancs natifs de ces régions, dont le tronc très haut et très droit était recherché, étaient coupés puis transportés d’une manière assez surprenante jusqu’aux scieries. Ils étaient poussés dans les eaux de la rivière Priest, sur laquelle ils flottaient jusqu’à se retrouver à proximité des scieries, placées stratégiquement près des berges en aval.

 

Le cours d’eau est aujourd’hui préservé en tant que patrimoine naturelle américain. S’il vous arrive un jour de le descendre dans votre kayak, vous pourrez penser à ces bûcherons qui laissaient dériver d’immenses troncs se bloquant parfois dans les sinueux méandres de la rivière et formant des barrages. Il fallait alors aux apprentis castors prendre un bateau, ramer jusqu’aux troncs et monter dessus pour les débloquer, au risque de se noyer lorsque les arbres se remettaient soudainement à bouger… Mieux vaut ne pas prendre de risque et se contenter d’une partie d’échec…

 

Crédits image : NASA Earth Observatory – 4 Janvier 2017.

Pour en savoir plus :

http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=89541

http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/guide_reussir_la_plantation_forestiere_201501_a4_cle8a81f1.pdf

https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/courses/LESELEMENTSDEGESTION/document/Sylviculturedesresineux.pdf?cidReq=LESELEMENTSDEGESTION

http://www.spokesman.com/stories/2010/jul/25/evidence-of-logging-past/

https://www.commune-mairie.fr/carte/densite/lyon-69123/

 

Ulysse P - le 30/03/2017