Faire des vagues dans l'espace

Quelque part dans les anneaux de Saturne, à plus de 135 000 kilomètres du centre de la planète, un corps de glace gros comme une montagne orbite dans le silence de l’espace. Seul trace de son passage, un remous dans son sillage.

 

Daphnis est une des lunes les plus proches de Saturne. Elle fait 8 kilomètres de diamètre, à peu près la hauteur de notre Everest. Elle orbite dans la lacune de Keeler, un espace de 42 kilomètres de large qui marque une franche séparation dans les anneaux de Saturne. Une lune donc, au milieu du délicat voile de poussières de glace si caractéristique de la géante gazeuse… C’est une de ces nombreuses découvertes surprenantes et magnifiques que l’on doit à la sonde Cassini, qui depuis plus de 10 ans, nous envoie régulièrement des cartes postales de ce fabuleux monde de glace. Cassini a quitté la Terre en 1997, pour atteindre la région de Saturne en… 2004. Depuis, elle a visité les nombreuses lunes de la planète. Celles à l’extérieur de l’anneau ont particulièrement retenu son attention pendant une grande partie de sa mission. Mais cette mission touche à sa fin, et, pour Cassini, la NASA a prévu un glorieux final pour la mi-septembre 2017 : la sonde s’abîmera dans l’atmosphère de la géante gazeuse et continuera à recueillir et transmettre des données jusqu’à ce que ses boucliers thermiques lâchent, qu’elle se consume telle une météorite dans notre ciel, et que ses restes finissent volatilisés, faisant finalement corps avec Saturne.

 

Daphnis avait déjà été observée en 2009, lors d’un équinoxe de la planète. La lumière rasante du Soleil dans l’axe des anneaux avait permis de distinguer les remous causés par le passage de la lune. Un peu comme les ombres des arbres qui s’allongent au moment du coucher du Soleil, les vagues dans les anneaux de Saturne ont projeté d’immenses ombres qui ont permis de mesurer les dimensions de ces ondes délicates. De 500 mètres à 1,5 kilomètres. D’immenses vagues donc, qui feraient pâlir d’envie les scénaristes de films catastrophes.

 

Sur cette photographie obtenue en lumière visible, l’angle de prise de vue est un peu différent. La sonde a effectué plusieurs survols rasant de près le plan des anneaux de Saturne. C’est donc une vue oblique que nous livre Cassini et qui permet de voir le profil de la lune, qu’on pourrait croire suivie par son train d’onde.

 

Mais au fait ? Comment se fait-il qu’une sphère de glace orbitant dans un espace vide puisse créer des remous à quelque chose comme 21 kilomètres de distance d’elle ? Pourquoi voit-on un sillage ?

 

Les anneaux de Saturne, selon les observations de Cassini, sont presque lisses. Ils sont composés de poussières de glace regroupées en petits agglomérats et s’étendent sur plus de 70 000 kilomètres (pour la partie la plus dense des anneaux). Et pourtant, tout cela ne fait qu’une épaisseur d’une dizaine de mètres. C’est donc un voile très fin, comme un film d’eau délicat, régi principalement par la gravité. Et c’est cette gravité qui va déformer le voile de glace à proximité de Daphnis. Car cette lune est assez grosse pour perturber les fragiles équilibres existants dans les anneaux. On voit donc un sillage. Comme pour la surface de l’eau perturbée par le passage d’un bateau.

 

Mais c’est d’un bateau un peu particulier dont nous parlons ici. Daphnis ne passe pas au milieu d’un film de glace immobile. Les anneaux sont également en orbite autour de Saturne. D’ailleurs, toute matière qui est plus proche de Saturne orbite plus vite que la lune. Toute matière plus éloignée de Saturne orbite moins vite. Daphnis voit donc sur son côté interne (du côté de Saturne) des grains de glace plus rapides qu’elle, et de son côté externe (du côté opposé à Saturne) des poussières plus lentes qu’elle. C’est donc un bateau dont un côté avancerait dans l’eau alors que l’autre reculerait. Bizarre, oui. Mais c’est pour cela qu’il y a un sillage en avant de la lune sur son côté interne, et derrière elle sur son côté externe.

 

Pour mieux le comprendre, vous pouvez regarder le petit film ci-dessous. Les images ont été prises à 1 minute 30 d’intervalles en 2009, lors du survol de Cassini pendant l’équinoxe. On y voit la lune du dessus, un sillage devant elle du côté proche de Saturne, et un sillage derrière elle du côté éloigné de la planète. Tout est donc une question de mouvement relatif. Qui va plus vite ? Comment se déplace un objet par rapport à un autre ? Un peu comme ce que vous avez peut-être entendu au lycée en cours de physique : le passager assis à côté de vous dans le train est immobile, par rapport à vous, mais sera en mouvement pour la vache qui vous regarde depuis son champ.

 

 

Pour revenir au fabuleux voyage de Cassini, je vous invite à aller regarder les autres cartes postales que la sonde nous a envoyées. De quoi vous laisser rêveur face à la beauté muette de ces mondes de glace. Et si l’envie vous prend de dire au revoir à ce bout de technologie qui a exploré sans relâche un monde à plus de 1,4 milliards de kilomètres de nous, sachez que la NASA diffusera en direct sa dernière mission en Septembre… Un détail. Quand la sonde enverra son dernier signal avant de se consumer et de disparaître, nous ne le recevrons que… 80 minutes plus tard.

 

 

Crédits image : NASA / Jet Propulsion Laboratory.

Pour en savoir plus :

https://www.nasa.gov/image-feature/jpl/pia17212/the-realm-of-daphnis

https://saturn.jpl.nasa.gov/resources/7604/

https://saturn.jpl.nasa.gov/resources/4543/

https://saturn.jpl.nasa.gov/resources/4606/

https://saturn.jpl.nasa.gov/resources/7589/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anneaux_de_Saturne#Caract.C3.A9ristiques_physiques

https://fr.wikipedia.org/wiki/Daphnis_(lune)

https://saturn.jpl.nasa.gov/mission/about-the-mission/quick-facts/

https://saturn.jpl.nasa.gov/science/rings/

https://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA11655

Quelques cartes postales de Cassini...

Ulysse P - le 20/04/2017